La petite annonce
En ce matin de juin 1946 ma vie terne s’illumine. À la rubrique “petite annonce”, la plus animée du Havre-Éclair, il est écrit : “Jeune femme, jeune fille qui souhaitez voyager, engagez-vous dans l’armée ! ” Je me questionne : L’armée ? Après la guerre ? Rejoindre ceux qui ont tant fait pour nous défendre ? Partir à l’étranger ? Découvrir d’autres horizons ? C’est une curieuse idée.
J’y pense toute la journée et me dis que ce soir, je répondrai à cet appel. Il suffit parfois de quelques lignes pour faire basculer une vie. Il faut toujours oser vivre ses rêves, ils sont beaux. Mais je m’égare…
Que m’apprêtais-je à faire ? Je risquais de tout perdre. Ma famille, mon fiancé, mon métier… Avais-je le droit de leur faire ça ? Mais avais-je également le droit de ME faire ça ? Ne pas être moi, ne pas être celle que je rêvais d’être ? Après de longues minutes de questionnement, la main suspendue au-dessus de cette feuille bleue qui n’attendait que mes mots, j’ai décidé de laisser l’armée décider. J’ai opté pour une écriture factuelle :
Madame, Monsieur,
En réponse à l’annonce parue dans Le Havre Éclair ce jour, je vous adresse ma candidature.
30 ans, célibataire, institutrice, je souhaite ardemment être utile pour la France. Durant les combats je me suis totalement consacrée à mes élèves et aspire maintenant à m’engager pour mon pays.
Vous trouverez ci-joint mes coordonnées….
Une semaine plus tard une enveloppe estampillée PFAT : Personnel Féminin de l’Armée de Terre me convoquait à un entretien parisien.
Dehors il faisait beau, les oiseaux chantaient, la vie suivait son cours habituel. Au loin la reconstruction de la ville faisait un bruit de fond permanent. Les travaux ne s’arrêtaient qu’à la tombée de la nuit et reprenaient dès potron-minet. J’ai pensé que c’était ma ville, celle où j’avais grandi, où vivaient ma famille, mes amis, mon fiancé.
Ça n’était déjà plus ma ville. Je le sus en un éclair. Le mot “convocation” scintillait devant mes yeux, il n’était que souligné mais pour moi il brillait de mille feux ! Je n’avais plus peur, je ne doutais plus, je vivais !
A-M.L